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La protection fonctionnelle pour les élus locaux dépourvus de délégation : un pas en avant et des incertitudes

Le régime de la protection fonctionnelle ne cesse de s’étendre et se renforcer. 

La Cour administrative d’appel de Versailles nous en offre un nouvel exemple qui s’accompagne cependant, d’interrogations légitimes dans l’attente d’une prise de position du Conseil d’Etat (CAA Versailles, 9 février 2024, n° 22VE01436).

 En effet, le dispositif de la protection fonctionnelle est d’abord connu des agents publics, fonctionnaires et contractuels.

Le Conseil d’Etat a, de longue date, consacré un principe général dans son arrêt Centre hospitalier régional de Besançon aux termes duquel l’administration est tenue de garantir les agents des condamnations encourues dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions (CE 26 avril1963, Centre hospitalier régional de Besançon, n° 42783).

Repris par l’article 11 de la Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, le dispositif s’est depuis précisé pour permettre aux agents publics de solliciter la protection de leur administration notamment « contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l’occasion de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice » (CE, 20 mai 2016, n°387571).

Désormais codifié aux articles L 134-1 et suivants du Code général de la fonction publique, le dispositif constitue d’abord un droit justifié par les « liens particuliers qui unissent une collectivité publique à ses agents » (CE 20 mai 2016, n°387571). 

La protection fonctionnelle est, donc, d’abord une protection des agents publics.

Le Code général des collectivités territoriales comprend néanmoins un chapitre portant sur la responsabilité et protection des élus. Les articles L 2123-34 et L 2123-35 du CGCT qui comprennent un mécanisme de protection fonctionnel ont, d’ailleurs, connu un substantiel renforcement avec la loi n° 2024-247 du 21 mars 2024 renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux.

A ce titre, le renforcement prévoit, notamment, un mécanisme d’octroi automatique de cette protection.

Néanmoins, si les membres des organes délibérant des départements, des régions et des EPCI sont indifférents visés par les mécanismes protecteurs figurant aux articles L 3123-26 et L 4135-26 et L 5211-15 du CGCT, ce dernier ne vise, s’agissant des communes, que les personnes protégées sont :

« Le maire ou les élus municipaux le suppléant ou ayant reçu délégation ».

En synthèse, il ressort de ces dispositions que seuls sont visés les élus faisant part de « l’exécutif » municipal.

Quid des autres membres dont on ne peut sérieusement soutenir qu’ils seraient, du seul fait de l’absence de délégation, prémunis de tout risque.

Il semble, difficilement, contestable de soutenir qu’ils ne peuvent se prévaloir du mécanisme d’octroi automatique dérogatoire figurant à l’article L 2123-35 du CGCT comme le concédait le ministre de l’Intérieur dans sa réponse faite au Sénat en novembre 2023 (JO Sénat du 01/11/2023, page 7781)

Dans un arrêt du 9 février 2024, la Cour administrative d’appel de Versailles confirme l’inapplicabilité de ces dispositions aux élus dépourvus de toute délégation (CAA Versailles, 9 février 2024, n° 22VE01436).

Toutefois, la Cour administrative n’exclut pas, pour autant, lé bénéfice de toute protection à ces élus dépourvus de délégation.

Elle juge, en ce sens, que l’absence de délégation exclut seulement la possibilité de fonder la protection fonctionnelle sur les dispositions des articles L 2123-34 du CGCT.

Néanmoins, la Cour reprend le principe dégagé par le Conseil d’Etat selon lequel, la « protection s’applique à tous les agents publics, quel que soit le mode d’accès à leurs fonctions  d’accès » (CE 08 juin 2011, n°312700) pour juger que les élus ne disposant pas de mandat peuvent parfaitement solliciter le bénéfice de la protection fonctionnelle « de droit commun ».

La Cour s’inscrit dans la ligne de celle de Paris qui avait, pour sa part, étendu le champ matériel de la protection due aux élus en se fondant sur le même principe pour permettre la prise en charge d’une action en diffamation (CAA Paris, 6ème Chambre, 12 juin 2018, 16PA03592).

Elle contredit néanmoins frontalement, la Cour administrative d’appel de Nancy qui a jugé pour sa part que le même principe :

« n’implique pas que la protection fonctionnelle doive être accordée à ceux des élus qui, n’exerçant aucune fonction exécutive, ne sauraient, par suite, être regardés comme ayant, en raison de leur seule qualité de membres de l’organe délibérant de leur collectivité, la qualité d’agents publics. »(CAA Nancy, 1re ch., 12 déc. 2019, n° 18NC02134-18NC02144 ; v. dans le même sens, TA Rennes, 8 avril 2024, n°2401360)

La possible extension du régime général aux élus dépend en réalité de la possibilité de les qualifier d’agents publics.

Certes, l’article L 7 du CGFP qui dispose :« 1° Les mots : « agent public » désignent le fonctionnaire et l’agent contractuel » paraît de prime abord exclure qu’un élu sans délégation puisse répondre à cette définition.

Ceci n’a pourtant pas empêché me Conseil d’Etat de juger que la protection fonctionnelle était due à un président de Chambre de commerce et d’industrie élu à cette exercer cette fonction au sein de l’Etablissement public administratif.

A défaut de précision du législateur, dont le Ministre reconnaissait néanmoins la nécessité (JO Sénat du 01/11/2023, page 7781), il conviendra d’attendre la clarification du Conseil d’Etat pour lever les doutes légitimes qui peuvent subsister sur la protection dont pourraient bénéficier les élus locaux dépourvus de délégation.