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Choisir le prestataire sur la base de l’offre intermédiaire : possible en cas de circonstances exceptionnelles 

Dans le cadre d’une affaire atypique, le Conseil d’Etat a été amené à valider une solution prise par le pouvoir adjudicateur, dans l’urgence, pour faire face à une situation dans laquelle la procédure de mise en concurrence ne pouvait manifestement plus se poursuivre (CE 2 février 2024, Société Suez Eau France, n°489820).

Dans les faits, Suez et Veolia soumissionnaient à un appel d’offres devant conduire le Syndicat des Eaux d’Ile-de-France (SEDIF) à attribuer un contrat de concession portant sur le renouvellement de la délégation du service public de l’eau potable.

La procédure d’attribution se déroulait en deux phases : d’abord la sélection des candidats admis à présenter une offre, puis la sélection de l’offre à l’issue d’une phase de négociation.

Dans le cadre de ces négociations, les deux entreprises admises à négocier ont pu présenter une première offre, puis une offre « intermédiaire » alors que la procédure se poursuivait normalement et prévoyait que les deux sociétés devaient remettre ultérieurement leurs offres finales sur la base desquelles le SEDIF devait décider de l’attribution du contrat.

En raison d’un inexplicable dysfonctionnement informatique, la société Véolia s’est toutefois retrouvée en possession des éléments de l’offre de son seul concurrent avant que ne soit formulées les offres finales des deux sociétés.

Alerté, le pouvoir adjudicateur prenait la décision de suspendre la procédure et de ne pas poursuivre la négociation compte tenu de cette évident rupture d’égalité.

Ne souhaitant pas relancer une nouvelle procédure, le pouvoir adjudicateur décidait d’attribuer la concession en comparant les offres intermédiaires présentées par les candidats.

La société Suez, candidate malheureuse saisissait alors le juge des référés pour contester la régularité de cette solution de fortune.

Au terme de la procédure, le Conseil d’Etat valide la solution prise en urgence par le pouvoir adjudicateur non sans souligner le caractère exceptionnel des événements qui l’ont conduit à adopter cette décision.

D’une part, le Conseil rejette tout d’abord le moyen soulevé par le candidat malheureux selon lequel la société Veolia aurait nécessairement dû être écartée sur le fondement de l’article L 3123-8 du code de la commande publique qui vise notamment à sanctionner les entreprises tentant d’obtenir des informations confidentielles.

En effet, le juge administratif souligne qu’il n’est pas contesté que la prise de connaissances des éléments de l’offre adverse résulte non pas d’une manœuvre de l’attributaire mais d’une défaillance du pouvoir adjudicateur. Plus encore, si le Conseil ne manque pas de relever que la société à tarder à faire état de ce dysfonctionnement, elle l’a tout de même fait spontanément avant de formuler son offre finale de sorte qu’elle n’a aucunement tenté d’en tirer profit.

D’autre part, après avoir rappelé que l’acheteur qui organise la procédure de négociation – ce qu’il n’est pas tenu de faire – se doit de s’y conformer, le Conseil d’Etat réaffirme que la garantie des principes de la commande publique, et notamment de l’égalité entre les candidats constitue l’élément cardinal devant guider le pouvoir adjudicateur.

C’est au nom de ces motifs, et en l’absence de toute manœuvre, que le Conseil d’Etat valide la décision prise par le pouvoir adjudicateur d’attribuer la concession sur la base des offres intermédiaires après mise au point consacrant un pragmatisme bienvenu dans la manipulation des principes de la commande publique par les acheteurs.

De fait, la solution retenue permettait de sauvegarder l’égalité entre les candidats sans doute plus efficacement qu’une relance de la procédure

Manifestement désireux de ne pas faire d’émules, le Conseil d’Etat ne manque pas de souligner que ce sont «  les circonstances très particulières de l’espèce » qui justifient que le pouvoir adjudicateur ait pu envisager de ne pas, simplement, abandonner la procédure menée jusqu’alors pour la relancer.